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Campagne d'été à Crozet (3/3)
dimanche 18 décembre 2016 à 15:57
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Dans le cadre d'une prestation de service pour un laboratoire d'éthologie, j'ai pu prendre part à une expédition scientifique d'un mois sur l'archipel de Crozet, dans les Terres Australes et Antarctiques Françaises. Ci-dessous les différents emails envoyés via la maigre connexion internet dont nous disposions au fil de mes aventures.



Mont Branca
Mont Branca
Baie du Marin
Otarie
Gorfou Macaroni
Manchot papou
Gorfous sauteurs
Baie américaine (BUS)
Crête aux alouettes
Envol d'un jeune albatros
Départ de Crozet
Bonjour à tous,

Voici les dernières nouvelles du front Sud, avec un peu de retard car en réalité nous avons quitté Crozet le 10 décembre et l'archipel de Kerguelen dans la nuit. A ce propos mon adresse mail @crozet.ipev.fr n'est plus consultable depuis le 10 au matin, si jamais vous m'aviez écrit entre temps merci d'utiliser ma présente adresse à bord du Marion-Dufresne (et oui ils ont bien écorché mon nom, il faudra faire avec !), qui devrait marcher jusqu'au 30 décembre en théorie.

Nous nous étions quittés à la fin de la campagne de transpondage, qui marquait en fait le début de mes vacances comme je l'appris plus tard. En effet la pluie s'en est mêlée et la caméra thermique a finit par nous lâcher au bout de quelques jours (après 10 années de bons et loyaux services c'était prévisible, malheureusement le réparateur le plus proche est à un mois de bateau). L'occasion pour moi de quitter un peu la Baie du Marin et de voir d'autres endroits sympathiques de l'île, tant mieux donc.

Première sortie au Mont Branca, montagne toute relative qui surplombe la base, en compagnie du doc'. Toujours un peu délicat pour elle de jouer les touristes, puisque étant le seul médecin sur l'île elle doit rester joignable et prête à intervenir à tout moment. Cette petite randonnée de deux heures est donc dans ses cordes, avec une VHF allumée en permanence bien entendu. Nous découvrons ainsi un paysage résolument volcanique, quasi martien, qui semble particulièrement rébarbatif vu de loin. En s'approchant on découvre en fait que cet amoncellement de pierres poreuses regorge de vie, principalement des mousses et lichens aux couleurs aussi variées que surprenantes. La plus grosse surprise nous attend au sommet, où une crête rocheuse particulièrement déchiquetée protège du vent une concentration impressionnante de cette végétation subantarctique si particulière.

Excursions plus ponctuelles également autour de la Baie du Marin avec les manchologues vétérans, qui savent d'où admirer au mieux nos charmantes bestioles.

Enfin la plus grande excursion restera celle à la "Baie américaine", BUS pour les habitués, sortie "loisirs" à la journée organisée par notre chef de district pour ceux qui travaillent sur base et n'ont pas la chance de se balader sur l'île dans le cadre de leur travail. Notre petit groupe de 7 personnes met ainsi le cap au Nord-Ouest, à travers montagnes et rivières, suivant le chemin que nous n'avons pu qu'admirer du Branca quelques jours plus tôt. Cette ballade sera l'occasion de compléter un peu mon bestiaire de Crozet, puisque nous y croiserons des otaries (à contempler de loin, pour sa propre sécurité...) ainsi que trois autres espèces de manchots : gorfous macaronis (au look de surfeur australien), gorfous sauteurs (bien à l'abri sur leur falaise, ils nous feraient douter du fait que les manchots ne volent pas) et même un manchot papou perdu au milieu des royaux. Nous raterons de peu les orques qui ont leurs habitudes ici, tant pis. Après un peu plus de 3 heures de marche tranquille, nous arrivons enfin sur la longue plage de sable noir de la baie, où nous attendent le chalet et la réserve qui constituent "l'arbec" de BUS. Juste à temps pour déjeuner à l'abri de la pluie, avant de pousser un peu plus loin sur la crête aux alouettes, où à défaut d'alouettes nous aurons au moins une vue magnifique sur la baie.

Entre deux sorties l'ambiance est bon enfant, je partage mon temps entre les veilles (il faudra au final nous contenter de deux manchots sur les 2,8 espérés, bilan un peu maigre pour un mois sur place quand on y réfléchit), le développement informatique pour mon chef resté à Strasbourg et la réécriture de chansons avec notre équipe, qui semble être ici un sport national. Sur base les films s’enchaînent au Cinécro pour mon plus grand plaisir, les repas à thème et les soirées du vendredi viennent également rompre un peu la monotonie.

La dernière merveille sera pour moi d'assister à l'envol d'un jeune albatros, qui a eut la bonne idée de choisir le chemin de la Baie du Marin que j'emprunte tous les jours comme piste d'envol, au moment précis où je m'y trouvais. Quand on sait qu'il ne reviendra probablement pas à terre avant 7 ou 8 ans, c'est un spectacle qu'on apprécie d'autant plus. Des images qui intéressent d'ailleurs mes collègues ornithologues qui réalisent un film scientifique sur le sujet, affaire à suivre !

Le temps de l'OP est finalement venu, et il a déjà fallu tout remballer, après 4 semaines seulement. Traditionnellement elle commence la veille de l'arrivée du navire par une opération "base propre", histoire de laisser aux suivants et à ceux qui restent un environnement de travail agréable. Comme vous l'avez peut-être lu dans la presse le Marion-Dufresne sera finalement en retard, il a fait un détour pour ramasser Kito de Pavant, infortuné coureur du Vendée Globe en détresse à quelques centaines de miles de là. Tant mieux pour nous, nous aurons droit sur le chemin du retour à une petite conférence de sa part sur son aventure, de ses premières courses en solitaire à la collision avec un "OFNI" qui aurait pu très mal finir pour lui si le Marion n'avait pas été à proximité.

Beaucoup de nouvelles têtes et de personnages insolites parmi les nouveaux arrivants de cette OP4. Un premier duo composé de deux artistes, le premier dessinateur de BD et le second amenant dans ses bagages un troupeau de zèbres en papier mâché grandeur nature, dans le cadre d'un projet de "sensibilisation à la biodiversité" (le projet s’appelle "Zoon" et dispose d'un site web pour les plus curieux). Projet accueilli assez tièdement par les chercheurs locaux qui voient là surtout une recherche du buzz sans réelle profondeur, et se moqueront gentiment en préparant pour son arrivée une girafe (!!!) du même "bois". La seconde équipe est quant à elle américaine, et se rend sur Crozet dans le cadre des accords internationaux sur l'interdiction des essais nucléaires (CTBPO). De par sa position stratégique dans l'océan indien, Crozet accueillera bientôt une station de surveillance hydro-accoustique internationale, consistant en deux groupes de trois sondes immergées à quelques kilomètres des côtes. Rien de militaire ou de secret-défense là dedans, les données de ce réseau couvrant l'ensemble du globe seront également mises à disposition de la communauté scientifique pour toutes sortes de projets, dont l'étude des baleines et autres cétacés. Là encore quelques inquiétudes du côté de la communauté scientifique, puisque les câbles sous-marins posés en ce moment même par un câblier venu d'Afrique du Sud seront connectés à la base en Baie du Marin, au milieu des manchots en pleine période de ponte donc... La Réserve Naturelle des TAAF veille au grain et a envoyé ses émissaires pour surveiller le chantier, on touche du bois donc.

Nous reprenons l'hélicoptère samedi 10 en milieu d'après-midi, après quelques derniers moments partagés allongés dans l'herbe au soleil (!) avec ceux qui restent. Cette OP voit partir la moitié des hivernants, après un an passé en si petit comité la séparation est évidemment difficile. Une fois à bord nous garderons le contact par VHF aussi longtemps que possible, profitant de la vue sur l'île de l'Est qui reste le lot de consolation traditionnel des partants, cette île ayant agrémenté le paysage durant tout leur hivernage sans qu'il ne leur soit jamais permis de s'approcher, réserve intégrale oblige.

Je vous laisse donc sur l'image du Marion-Dufresne s'éloignant tranquillement de Crozet, mettant le cap sur Kerguelen à quelques jours de mer de là, puis Amsterdam, Tromelin, Maurice et enfin la Réunion. Il faudra donc patienter jusqu'à l'année prochaine pour le récit des escales !

Joyeux Noël et bonne année à tous donc.

Bises,
Sylvain