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Campagne d'été à Crozet (2/3)
vendredi 25 novembre 2016 à 04:48
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Dans le cadre d'une prestation de service pour un laboratoire d'éthologie, j'ai pu prendre part à une expédition scientifique d'un mois sur l'archipel de Crozet, dans les Terres Australes et Antarctiques Françaises. Ci-dessous les différents emails envoyés via la maigre connexion internet dont nous disposions au fil de mes aventures.



Au revoir au Marion-Dufresne
Stall
Baie du Marin (guetteur)
Baie du Marin (colonie)
Éléphants de mer
Bonbon
Orques en Baie du Marin
Manchot papou
Manchologues en Baie du Marin
L'Azorelle
Le Cronibar
Manchot paradant
Bonjour à tous,

Quelques nouvelles de votre manchologue amateur préféré, pour faire suite à mon précédent email.

Nous avons donc dit "au revoir" au Marion-Dufresne qui a fini par nous laisser tout seuls sur notre caillou, avec enfin la paix nécessaire pour travailler. Les tâches ici sont nombreuses, vous vous en doutez bien quand on part dans ce genre de contrées il faut rentabiliser le déplacement ! Pas de repos pour les braves donc, durant la campagne d'été les concepts de "week-end" ou de "grasse matinée" n'ont pas vraiment cours. Ainsi si chacun fait partie d'un programme bien précis (le "394" dans mon cas), il est fréquent de se faire embarquer comme "petites mains" dans un autre programme durant les temps morts, l'occasion également de découvrir un peu ce que font les autres et de voir du pays. Le premières manips de mes collègues Batshéva et Florent ne nécessitant pas mon concours, j'ai donc passé ces premières semaines avec le "137", dont l'ambitieux programme consiste à transponder 450 nouveaux poussins chaque année avant qu'ils ne partent en mer.

Il s'agit donc d'attraper un de ces adorables poussins marrons, lui passer une cagoule sur la tête (comme pour tout oiseau c'est encore le meilleur moyen de le calmer), puis l'embarquer jusqu'à la cabane (12 kg tout de même...) où il subira une série de mesures morphologiques, une prise de sang et l'implantation d'une petite puce juste sous la peau entre la jambe et la queue. L'idée derrière tout ça est de suivre au fil des ans la population de la colonie, afin d'avoir entre autres une idée plus précise de l'espérance de vie de ces bestioles (qu'on estime autour de 40 ans tout de même). En temps que prédateur carnivore, il pourrait même devenir un outil d'observation de l'état de santé de l'ensemble de l'écosystème subantarctique, dans la mesure où toute modification de l'environnement impactant les espèces plus basses dans la chaîne alimentaire impacte sa survie. En cette ère de réchauffement climatique vous vous doutez bien que le sujet est sensible, un réchauffement qui se matérialise d'ailleurs pour ces pauvres manchots par une distance sans cesse rallongée de leurs sorties en mer, les zones les plus propices à leur pèche se situant au niveau de la zone de confluence antarctique, à quelques 800 km au Sud (!!!). L'occasion de souligner les performances impressionnantes de ces oiseaux sous l'eau, qui atteignent facilement les 30 km/h, et qui compensent un peu leur démarche si comique sur terre.

Et moi dans tout ça ? Après m'être essayé à quelques captures et prises de sang, j'en reste il faut bien l'avouer à mon cœur de métier : les données. Un "scribe" est toujours nécessaire pour noter les mensurations au fur et à mesure qu'elles sont collectées, préparer les seringues pour nos vétérinaires qui enchaînent les prises de sang, et retransvaser le sang dans des tubes une fois collecté. Un métier qui n'est cependant pas de tout repos, puisque lorsque le personnel le permet nous arrivons facilement à traiter 3 ou 4 poussins à la fois, ce qui demande quelques acrobaties et beaucoup de concentration pour ne pas faire d'erreur.

Une deuxième tâche qui nous incombe est la surveillance des antennes, qui détectent ces fameux transpondeurs à des endroits stratégiques de la colonie. En effet toute une zone, appelée Antavia, est encerclée par des murets et n'est accessible que par 3 points clés où sont enterrées les antennes. Les manchots transpondés sont ainsi détectés à leurs entrées et sorties, ce qui permet de suivre leurs mouvements et leurs cycles de reproduction (identifiables par un calendrier bien précis de présence sur terre ou en mer). C'est une tâche particulièrement importante car notre programme attend encore 18 manchots à qui ont été implantés des "bio-loggers", des puces plus complexes qui enregistrent différentes données à intervalles réguliers (dans notre cas la pression, la température et la luminosité à chaque seconde). Évidemment pour analyser les données collectées par ces appareils durant ces dernières années, encore faut-il arriver à récupérer nos boîtiers ! Des alarmes spéciales ont donc été programmées pour repérer le passage de ces manchots, le jeu consiste donc à surveiller d'une oreille l'ordinateur et à bondir si jamais la bonne alarme se déclenche. Jusqu'à présent nous en avons récupéré deux, sur les 2,8 que l'on peut espérer d'après les statistiques des années précédentes. Les manchots étant du genre matinal, les gardes commencent tous les matins à 4h30 (gloups), et nous nous partageons donc ces veilles.

Nous avons terminé hier le 450e transpondage, et je commence donc à reprendre mes quartiers au "Deeper", l'abri du programme 394 où Batshéva et Florent ont commencé une nouvelle expérience. Il s'agira ici d'étudier le réchauffement des manchots tout juste sortis de l'eau, grâce à des photos prises régulièrement avec une caméra thermique et divers capteurs de température passés sur et sous la peau. Afin d'avoir un minimum de réplication nous nous retrouvons donc à "remouiller" nos manchots au tuyau d'arrosage dans une bassine d'eau froide, ce qui a le don de beaucoup amuser nos voisins de shelter dans la mesure où notre bassine fuit à grandes eaux et nos manchots n'y mettent que très peu de bonne volonté.


Sur un plan plus large le paysage de la colonie est toujours aussi magnifique, et nous ne nous lassons pas de contempler nos manchots qui ont désormais commencés à pondre. Un seul œuf à la fois, qui sera gardé par le mâle pendant que la femelle retournera en mer faire le plein de poisson (pour elle même et le poussin à éclore) pour prendre ensuite son tour de garde. Quand le temps le permet le meilleur endroit pour voir ça est encore le "café de la plage" où nous prenons nos déjeuners entre manchologues pendant que le reste des autochtones mange bien au chaud à la base.

Parmi nos manchots évoluent par ailleurs de plus en plus d'éléphants de mer, entre lesquels il devient parfois compliqué de slalomer. Des animaux vraiment déprimants, qui passent leur temps à dormir (avec beaucoup d'application il faut le reconnaître) juste sous nos yeux pendant qu'on bosse ! On leur pardonne tout de même car leurs petits sont vraiment adorables, et pas farouches pour un sou. Leur forme et leur douceur (de peau comme de caractère) leur vaut d'ailleurs le sobriquet de "bonbon", une appellation que ne renient pas non plus les orques qui se préparent à festoyer lors de leur sortie en mer prochaine... Des orques que j'ai par ailleurs eut la chance de croiser lors de ma première veille (une chance inouïe apparemment, Marine qui partageait cette garde avec moi et a passé l'hiver ici ne les avait jamais vu d'aussi près).

En bonus pour satisfaire les demandes reçues, quelques photos des points stratégiques de la base : ma chambre à l'Azorelle et le bar de la "vie commune". Comme je vous l'écrivais l'ambiance fait un peu "colonie de vacances", mais il faut souligner qu'en temps que campagnard d'été je loge évidemment dans les dortoirs tandis que nos hivernants disposent de chambres individuelles dans des bâtiments plus accueillants, ce qui est bien compréhensible. Également un manchot en pleine parade, tout beau tout propre après sa mue et en pleine extension pour chanter.

Le temps file à toute vitesse et il reste un peu moins de deux semaines avant le retour du Marion-Dufresne, j'espère donc vous envoyer un nouvel épisode une fois la poussière de l'OP retombée.


Bises à tous,
Sylvain