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De l'art de la manipulation verbale
mardi 11 novembre 2014 à 23:51

Curieuses rencontres en ce jour à la gare de Lyon (à Paris hein, pas à Lyon ...), d'ordinaire je n'y prête pas trop attention mais l’enchainement des deux m'a amené à réfléchir, qui sait peut être que vous aussi. La première c'était un trentenaire propre sur lui tout ce qu'il y a de plus ordinaire, la seconde un cinquantenaire comme on en croise malheureusement (pour eux s'entend) un peu trop souvent dans les grandes villes. Même objectif pourtant : « de l'argent s'il vous plait ». Même objectif, mais des approches très différentes, et incidemment des conclusions très différentes également. Voyez plutôt.

La première a lieu dans le hall de la gare. Comme tout le monde je fonce tête baissée vers l'escalator du métro, croulant sous le poids de mes bagages et de mon ordinateur (être un geek ça se paye quand on voyage ...), lorsqu'une petite voix m'interpelle : « Excusez moi monsieur, la gare d'Austerlitz s'il vous plait ? ». Pas sur d'avoir bien entendu ou que cela s'adresse bien à moi, je lève le nez pour constater que c'est le cas. Un trentenaire lambda, le look « barbe de 3 jours » et les lunettes à la mode, l'écharpe et le manteau gris passe-partout, deux livres au creux des bras. Poli mais avec ce petit air résigné du type qui pose la question pour la 3eme fois, et si vous connaissez un peu la géographie parisienne vous savez que le bonhomme n'est pas au bout de ses peines (touché). Je me lance dans une réponse ... et le piège se referme. Oubliées la question et sa réponse, il me remercie alors pour mon sourire et ma cordialité (encore touché, en bon provincial que je suis je ne peux évidemment que me sentir flatté et légèrement supérieur à tous ces parisiens dont l'amabilité est proverbiale). Il tient à m'offrir un livre, qu'il me place entre les mains en m'expliquant qu'il travaille en fait pour une œuvre (que j'ai déjà oubliée à peine la conversation terminée, mais la fibre charitable est toujours bonne à titiller). « Les gens » donnent ce qu'ils veulent, et il n'a pas la prétention de me suggérer un montant (encore un point pour lui), ce qui est important c'est de diffuser le message et la bonne humeur. Tant qu'il y est il m'ajoute un deuxième livre, « pour madame ». Je lui explique que malheureusement il n'y a pas de « madame » en ce moment, il me répond que pour lui non plus mais que ce n'est pas bien grave, « pour maman ou papa ». Je sors mon porte-feuille pour en extraire un billet de 10€, il en vient deux. Je lui explique que je vais me contenter de lui en laisser un seul, pas d'objection et là encore c'est appréciable. Il me souhaite une bonne journée, me rappelle de bien diffuser son message. Quelques minutes à peine, et tombe le bilan : je viens de lâcher 10€ pour deux livres que, quoiqu'en bon état, je ne lirais probablement jamais. Pourtant j'ai le sourire, l'impression d'avoir saisi une bonne affaire simplement en étant serviable, et une bonne action qui plus est.

Un étage plus bas, arrivée dans les couloirs du métro. Je croise ce deuxième homme sans lui prêter grande attention, barbe poivre et sel et casquette usée, tout en lui suggère qu'il va me demander de l'argent mais pourtant il s'abstient. Je me dirige vers les distributeurs de tickets à quelques mètres de là, et c'est là qu'il intervient (ça part mal, se retrouver piégé dans cette situation ou le « je n'ai pas d'argent sur moi » n'est pas crédible peut sembler payant mais n'aide pas vraiment à établir la confiance, la conversation démarre sur la défensive). Il parle doucement et a parfois du mal à trouver ses mots, je lui fais répéter et culpabilise un peu à me demander s'il est sous l'emprise de l'alcool, mais impossible d'en avoir le cœur net. De manière assez directe, il me demande si j'aurais quelques pièces à lui donner, poli mais sans fioriture. Mes automatismes se mettent en branle, je lui réponds de façon ferme et polie que non, sans lui faire l'affront d'une excuse à deux ronds (« Ah mon bon monsieur ç’aurait été avec plaisir, mais j'ai laissé mon porte-feuille dans mon autre pantalon, et il se trouve que j'ai pile 13,70€ qui trainent dans les poches de celui-ci pour acheter mes 10 tickets »). Il insiste, je persiste. Il se lance dans un monologue sur le fait qu'une prochaine fois ce ne sera pas possible, car il y a peu de chances qu'on se recroise, peut être une autre de ces excuses à laquelle il est habitué, en tout cas je ne vois pas bien où il veut en venir. Il se réoriente vers les « tickets resto », manque de chance je ne fais pas partie des rares élus qui y ont droit (inutile de se justifier, vous m'auriez crû vous ?). Il me regarde payer avec ma carte bancaire, peut être dans l'espoir d'une dernière offensive ou que je sois pris d'un remords en sortant les pièces que je lui refuse. On se quitte sur un « bonne soirée » après quelques minutes là encore, mais le bilan est tout autre : j'ai l'impression d'avoir agit comme il le fallait, je n'ai rien gagné ni perdu, si ce n'est mon estime de soi. L'impression d'avoir agit selon mes convictions, de ne pas m'être laissé « enfler » comme ça m'est arrivé si souvent dans ma jeunesse, mais tout en ayant traité cet homme comme un être humain et sans jamais lui faire miroiter quoi que ce soit.

Au final j'ai donné mon argent à ce jeune homme sympathique qui n'en avait probablement pas besoin, vraisemblablement un voyageur qui cherchait à se débarrasser des livres qu'il avait acheté pour le voyage. Parce qu'il m'a surpris, parce qu'il a su jouer sur mes cordes sensibles et me donner l'impression de ne pas simplement me faire braquer 10€ lorsque j'étais vulnérable. Peut être que cette deuxième personne n'était pas non plus dans le besoin, ou qu'elle cherchait juste à se procurer de l'alcool ou des cigarettes (oui en temps que non-fumeur j'ai du mal à considérer ça comme un besoin primaire). Oui je crois que je vais me convaincre de ça, parce qu'après tout c'est ce que l'on fait tous dans ces cas là non ? Pour dissiper ce petit sentiment de culpabilité qui s'installe ...